À Son Excellence Monsieur Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA, Président de la Transition du Gabon et candidat à l'élection présidentielle du 12 avril 2025.
Excellence Monsieur le Président,
Cette lettre s’inscrit en réponse à votre projet de société, plus précisément au PILIER 1 – ÉLECTRICITÉ, EAU ET RÉFORMES DU SECTEUR, et à son Axe 1.3.C dans lequel vous proposez de séparer et gérer de manière autonome les volets eau et électricité.
Je soussigné, Simon Steven OBAME, citoyen engagé et passionné des questions énergétiques, vous adresse cette contribution avec un profond respect et dans un esprit constructif. Ce courrier, ainsi que l’analyse qui l’accompagne, est le fruit d’une observation minutieuse de la réalité technique, économique et structurelle de la SEEG. Il s’inscrit dans une volonté de transparence et de redevabilité, à la lumière d’expériences passées où des décisions importantes, bien qu’animées par l’intérêt de l’État, n’ont pas toujours donné les résultats escomptés.
La réalité actuelle, Excellence, est que si l’activité Eau tient encore le coup, c’est en grande partie grâce au soutien structurel, financier et opérationnel de l’activité Électricité. Sans cette solidarité implicite, la filière Eau, à elle seule, aurait du mal à répondre aux exigences minimales de viabilité économique et de qualité de service.
Selon les rapports annuels, le chiffre d’affaires de la SEEG montre que l’électricité représente environ 89,2 % des recettes, contre 10,8 % pour le secteur de l’eau. Ce déséquilibre persiste depuis plusieurs années et souligne une forte dépendance de l’eau vis-à-vis de l’électricité.
Repartition du chiffre d'affaires SEEG - 2023
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Dans les faits, la majorité des stations de traitement d’eau fonctionnent grâce à une alimentation électrique continue, souvent assurée par les infrastructures du secteur Électricité. Cette énergie consommée sera désormais refacturée en tant que charge supplémentaire à l’entité Eau.
Mais au-delà de l’électricité, c’est tout le modèle économique de l’activité Eau qui reste déficitaire. Avec un rendement national inférieur à 50,0 %, chaque mètre cube d’eau produit se traduit par moins d’un demi-mètre cube effectivement facturer. Et dans certaines régions de l’intérieur du pays, ce rendement chute à 30,0 % en termes d'encaissements, voire en dessous, notamment du fait des impayés grandissants depuis la réquisition de la société en 2018.
Dans cette optique, il est capital de noter que sans investissements structurants complémentaires dans le domaine de l’eau dès le début de la séparation des entités, il est inévitable que le prix du mètre cube d’eau augmente. Cette évolution tarifaire sera dictée par la nécessité de couvrir l’ensemble des charges d’exploitation, incluant notamment la consommation énergétique des installations de pompage, les frais de traitement, la maintenance des infrastructures vieillissantes ainsi que les pertes liées aux faibles rendements. Toute tentative de viabilité économique du secteur Eau, sans subvention ou soutien structurel, impliquera une réévaluation du modèle tarifaire actuel.
Cette relation de dépendance ne se limite pas aux moyens techniques. Selon les rapports annuels, le personnel affecté à l’eau représente seulement environ 15,4 % des effectifs globaux. Cela montre que même une séparation administrative ne réduirait pas mécaniquement les charges salariales : le personnel Eau reste indispensable à la continuité de service.
Par ailleurs, l’un des indicateurs les plus révélateurs des dysfonctionnements internes est le rendement de facturation. Entre 2019 et 2023, ce rendement est resté relativement stable dans le secteur Électricité, oscillant entre 73,0 % et 85,1 %, tandis que celui de l’Eau a chuté de 52,6 % à 45,9 %.
Evolution du rendement de facturation SEEG (2019 - 2023)
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C’est pourquoi, sans préjuger de la pertinence finale de la séparation, il apparaît indispensable de mener en amont une série d’actions correctrices :
- Créer une entité Eau dotée d’un budget propre, encadrée par des spécialistes reconnus.
- Former rapidement et massivement les cadres de la future entité Eau.
- Installer un système de comptage intelligent, fiable et traçable.
- Encadrer la transition institutionnelle par un dispositif de continuité multisectorielle.
- Garantir une péréquation financière temporaire pour compenser les déséquilibres de départ.
- Associer les citoyens via des comités consultatifs pour renforcer la transparence et l’acceptabilité des réformes.
La séparation des activités peut améliorer la gouvernance, mais elle doit s’accompagner d’une prise en compte réaliste des interdépendances techniques, économiques et sociales. L’activité Eau, encore fragile, ne pourra survivre sans une réflexion approfondie sur les mécanismes de compensation et d’investissement croisant les deux secteurs. À défaut d’investissements structurants, cette séparation pourrait créer une crise sociale et sanitaire majeure, comparable à l’urgence qui a justifié le recours à Karpowership pour limiter les délestages à Libreville. Le coût colossal de ce partenariat temporaire doit servir d’alerte : dans le secteur de l’eau, l’absence de prévoyance coûterait non seulement des milliards, mais un temps précieux dans l'atteinte de la satisfaction des Gabonais : accès régulier a l'eau et pour tous.
Je vous remercie, Excellence Monsieur le Président, pour l’attention portée à cette analyse et reste à votre disposition pour tout approfondissement.
Lire le projet de société :
Steven OBAME