En 2020, le Fonds monétaire international (FMI) a réalisé une Évaluation de la gestion des investissements publics (PIMA) au Gabon. Bien que ce rapport soit technique, il livre un constat clair et sans appel :
les infrastructures du pays ne souffrent pas d’un manque de financement, mais d’un déficit profond de gouvernance, de coordination institutionnelle et de rigueur dans l’exécution des projets, notamment dans les secteurs de l’électricité et de l’eau.
Sur la période 2015–2019, l’investissement public a représenté en moyenne 6,2 % du PIB, plaçant le Gabon parmi les plus gros investisseurs publics d’Afrique centrale. Pourtant, les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des montants engagés. Les projets sont souvent en retard, dépassent largement leur budget initial, ou n’atteignent pas leurs objectifs. Cette situation résulte principalement d’un manque de coordination entre institutions, de responsabilités floues, et d’un cadre de gestion encore trop peu structuré.
Les secteurs de l’eau et de l’énergie illustrent parfaitement ce dysfonctionnement. Chaque ministère sectoriel planifie ses projets de manière isolée, sans coordination centrale. Les grandes infrastructures ne font que rarement l’objet d’analyses coûts-bénéfices rigoureuses ni d’évaluations environnementales approfondies. Les règles de passation des marchés publics sont appliquées de façon inégale et fréquemment contournées, notamment via des procédures d’urgence ou des contrats de gré à gré. En phase d’exécution, les retards sont récurrents, les cahiers des charges souvent imprécis, et les mécanismes de contrôle peu efficaces.
Les zones rurales sont les principales victimes de ce système fragmenté. Les retards dans l’électrification et l’accès à l’eau potable y creusent les inégalités territoriales et compromettent la promesse d’un développement équitable.
Face à ce constat, le FMI recommande fortement la création d’une cellule centrale de coordination des investissements publics, idéalement logée au sein du ministère du Budget ou du ministère de la Planification. Cette structure aurait pour mission de normaliser les procédures d’évaluation des projets, de suivre les performances en temps réel, et de sécuriser les appels d’offres à travers des outils numériques de traçabilité. En l’absence de cette réforme, les projets liés à l’extension du réseau électrique, au traitement de l’eau ou au déploiement de mini-réseaux solaires resteront exposés aux dérives et à la sous-performance chronique.
Les chiffres avancés par le rapport PIMA sont révélateurs : le taux d’exécution des projets d’infrastructures est inférieur à 60 %. Près de 40 % des projets dépassent leur budget prévisionnel de plus de 30 %. Moins de 15 % des projets sont évalués selon une méthodologie standardisée. Et aucun organisme public ne dispose d’un accès à une base de données centrale des projets d’infrastructures. Ce déficit de rigueur et de transparence affecte la qualité des services publics et freine le développement.
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Alors que le Gabon se lance dans des projets structurants comme la centrale hydroélectrique de Kinguélé Aval, le PASIG (Projet d’Amélioration du Secteur de l’Eau), ou le PIEPAL (Projet d’Accès à l’Électricité à Libreville), il est crucial de tirer les leçons du passé. La réussite ne dépend pas uniquement des budgets mobilisés, mais surtout de la capacité à choisir les bons projets, à les suivre, et à les livrer selon des standards clairs et partagés.
La vraie leçon à retenir ici n’est pas uniquement technique, elle est institutionnelle. Une infrastructure, ce n’est pas seulement du béton ou des câbles, c’est un système, une gouvernance, un processus. Là où les institutions sont solides, les résultats sont visibles. Que ce soit pour électrifier un village du nord ou améliorer l’accès à l’eau à Libreville, tout dépend de comment on conduit les projets, bien plus que de ce qu’on construit.
Le rapport du FMI ne se contente pas de dresser un état des lieux ; il propose une feuille de route. Si les recommandations sont mises en œuvre avec sérieux, elles pourraient transformer en profondeur la manière dont le Gabon planifie et exécute ses investissements publics.
Source : Fond Monétaire International, imf.org
Steven OBAME